Pride month : ou toutes ces choses que je n’aurais pu imaginer

[Je sais que je répète des choses que j’ai déjà dites, mais ce blog est mon défouloir, mon journal pas très intime, et l’angle change quand même un peu, juré]

J’ai 31 ans, bientôt 32. Quand j’étais enfant, ado, ou même jeune adulte, rien ne m’avait préparé à l’éventualité d’être non-binaire (ou trans, n’ayons pas peur des mots) et lesbienne (si on peut être lesbienne en étant un homme à l’intérieur, pour moi oui, mais c’est un autre débat).

Si j’écris ce post, c’est pour mettre l’accent sur une chose : je ne savais pas.

On a tendance à penser que les personnes LGBT le savent depuis l’enfance, l’adolescence. « Non mais, ça se voit » « on peut pas se tromper ».

Moi, je ne savais pas.

Quand je matais, dessinais des filles plus ou moins dénudées à la pré-adolescence, je ne savais pas.

Quand je disais que je ne voulais coucher avec personne et que l’idée de sortir avec un garçon m’était intolérable, je ne savais pas.

Quand je restais allongée, la nuit, mes écouteurs dans les oreilles, à imaginer des histoires où je devenais un homme, je ne savais pas.

Quand je trouvais le concept de genderbender comme un soulagement et une bouffée d’air frais, je ne savais pas.

Quand je m’imaginais partager ma vie pour toujours, mariée, à ma meilleure amie, je ne savais pas.

Quand je disais « je suis un garçon à l’intérieur lol », je ne savais pas.

Quand je pleurais et ne voulais rien mettre parce que je détestais mes nouvelles formes, je ne savais pas.

Quand j’ai pleuré et crisé et suis devenue insupportable parce que ma meilleure amie s’est trouvée un copain, je ne savais pas.

Quand les gens me disaient, au lycée, « les lesbiennes font peur », je ne savais pas (et j’y croyais).

Quand je suis tombée sur un reportage sur la transition d’un homme trans et que je ne pouvais pas ignorer ce qu’il s’y disait (« ça se peut…? »), je ne savais pas.

Quand je trouvais ça bizarre de lire des trucs gay, je ne savais pas.

Quand je faisais des rêves où je m’imaginais vaguement comme une sorte d’homme avec une femme, je ne savais pas.

Quand j’avais un crush, mais que je ne voulais pas vraiment l’approcher, je ne savais pas (parce qu’en plus, j’ai pleuré pendant deux semaines quand on m’a retiré l’occasion de le lui dire, parce que j’aurais voulu faire ma déclaration en bonne et due forme au seul homme que j’aie jamais « aimé » pendant 8 ans).

Quand je m’énervais de voir de plus en plus de couples gay/lesbiens, et que je me demandais « pourquoi tout le monde est lesbienne ?! », je ne savais pas.

Quand j’ai pensé des trucs homophobes, je ne savais pas.

Quand j’ai soutenu mordicus que j’étais hétéro – peut-être aromantique – jusqu’à la dernière seconde un mois avant mes trente ans, je ne savais pas.

J’étais hétéro et cis, j’étais une fille comme les autres, à part qu’on me tapait dessus parce que j’étais trop sensible, pas assez féminine, maladroite, prude.

J’ai grandi comme tout le monde, à part que l’idée d’avoir un copain me rebutait et que je ne comprenais pas pourquoi les filles en voulaient un, à part le fait que je me faisais passer pour un garçon sur Internet et me projetais sur des personnages masculins, noyée dans la fiction.

Avant mes 22 ans (quand je me suis découvert non-binaire), je n’avais jamais pensé que je devrais faire de coming-out. Je me suis toujours pensée à l’abri. J’ai toujours pensé que ça n’arrivait qu’aux autres. Que j’étais tranquille et que c’était un soulagement d’être dans la norme.

Personne n’a rien vu, non plus, parce que je croyais si fort que je savais qui j’étais. Sûrement pour le mieux. Après tout, qui penserait qu’une fille qui passe son temps à parler de husbando et à parler d’acteurs mignons n’aimerait pas les hommes ?

Je n’ai jamais pensé que j’écrirais sur des personnages gay ou trans, enfin, en dehors de fanfictions yaoi « pour rire ». Des histoires sur des personnes comme moi, avec mon vécu dedans. Encore moins que c’est ce qui me fait vibrer actuellement, mon plaisir personnel mais aussi ma modeste contribution pour améliorer le monde.

Je n’ai jamais pensé que je m’inquiéterais pour ma vie avec celle de milliers d’autres gens, que je verrais les infos avec la boule au ventre, mais aussi que je me sentirais visée par les remarques et les piques et les insultes.

Je n’aurais jamais pensé que je serais là, à éviter les interactions sociales avec des membres de ma famille, à partir délibérément de la maison les jours où je sais que les infos vont parler de nous, à sentir mon cerveau faire des nœuds d’angoisse quotidiennement.

Non, je n’aurais pas imaginé tout ça. Et je pensais naïvement encore pouvoir fuir et prétendre avoir une vie normale, quand je croyais que je pouvais me refouler encore un peu plus, que ce n’était pas grave.

Et l’horreur profonde de se cacher, de faire profil bas, de me convaincre que c’était mieux d’être hétéro et cis juste pour me sentir en sécurité… a fini par me péter à la figure.

Et, encore une fois, je ne l’avais jamais imaginée.

Ce n’est pas si simple.

On pense qu’on arrive, qu’on dit « maman, je suis gay et non-binaire ! » et que c’est fini. Mais c’est un poids mental constant, une vie à réapprendre, des rêves naïfs d’enfant à rayer, l’angoisse du lendemain. Ça demande une énergie considérable juste pour être soi et résister, car tout ce qu’on a appris en trente ans ne disparaît pas en un claquement de doigts. Trente ans d’homophobie et de transphobie institutionnalisée dans les pattes – même quand je me dis que j’ai accepté, ça me prend parfois de nulle part, cette fragilité, cette peur, cette honte qu’on m’a indirectement apprises. Et même, des hontes nouvelles, et c’est le pire, car je n’avais pas à entendre de gens proches et d’anciens camarades d’université cracher sur les personnes trans et queer auparavant.

Je ne m’étais pas rendu compte. A quel point ça m’étouffait.

Et à côté.

Je dois subir les médias qui sortent des paniques morales montées de toutes pièces.

Je dois subir les commentaires haineux sous n’importe quelle publication parlant de personnes queer.

Je dois subir mon propre père qui soutient la manif pour tous (sans savoir qui je suis), qui pense que les homos ne devraient pas enseigner à des gosses, qui pense qu’on est tous des malades et qu’on ne doit pas avoir d’enfants.

Je dois subir l’idée que j’aurais pu me retrouver mêlée à des débats sur « les trans » si j’avais été encore étudiante ces dernières années.

Je dois subir les posts facebook et stories insta sur « le wokisme » et « haha hélicoptère ».

Je dois subir les putain de politiques qui pensent qu’on est des immondices à dégager.

Je dois subir les connards qui pensent que « ce qu’on fait dans notre lit ça reste privé » pendant qu’ils étalent leur hétérosexualité.

Je dois subir les « mais et les enfants ? » et les « vous faites de la propagande, laissez les écoles en dehors de ça, vivement que le gouvernement fasse un truc. »

Je dois vivre avec l’idée que je dois serrer les dents tout le temps lorsque j’ai des obligations sociales, car qui sait si le sujet ne va pas être abordé. Qui sait si on ne me prendra pas pour une folle qui « fait de la propagande » et « veut transer les enfants ».

Je dois vivre avec l’idée que certains ne me verraient plus jamais comme avant s’ils savaient que je fais partie « des emmerdeurs de l’idéologie woke ».

Stop.

Stop.

Par pitié.

Stop.

C’est trop.

Je n’ai jamais imaginé tout ça.

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